Canada Kicks Ass
Petite discusion sur notre avenir.

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Elvis @ Mon Jun 19, 2006 11:02 am

Je vous invite à discuté de cet article. À mon avis il est assez bien écrit et il contient des arguments assez interessants.

Cette discussion est reservé aux grande persone seulement. Laisser vos préjugés à la porte ainsi que les gamins incapable de suivre une argumentation.

Bien à vous.


$1:
Sortir de l'impasse en revenant aux idées fondatrices
Gérard Bouchard
Professeur au département des sciences humaines de l'Université du Québec à Chicoutimi
Le Devoir samedi 17 et dimanche 18 juin 2006

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Au cours des années 1960-80, le projet de souveraineté du Québec a inspiré une forte tradition de pensée et de sentiment: des appels qui visaient à éveiller les consciences, à allumer la foi, à stimuler la fierté, la confiance; des argumentations qui allaient au fond des choses et fixaient les concepts, les finalités, les justifications. Tous ces apports ont fait émerger le mouvement, ils l'ont inscrit au coeur de la vie politique du Québec (et du Canada), ils ont alimenté un très grand débat démocratique et ont suscité une ample mobilisation collective qui a fait des vagues bien au-delà de nos frontières, venant tout près de faire basculer le destin du Québec.

Après l'échec du dernier référendum, le mouvement souverainiste est passé progressivement à un autre régime. Depuis quelques années, ses porte-parole se sont faits plus tacticiens, plus techniciens. Ils ont donné la priorité à des questions plus pointues (élection référendaire ou non, norme des 50 %, réforme du mode de scrutin... ). Il en a résulté les débats très spécialisés -- et les controverses -- que l'on sait.

Qu'on ne se méprenne pas sur le sens de ce rappel : je reconnais la nécessité de ces réflexions et ne songe nullement à en diminuer l'apport. Mais on acquiert peu à peu le sentiment que la pensée souverainiste s'est refroidie, que les discussions sur les modalités ou sur la mécanique ont rejeté à l'arrière-plan la réflexion sur le fond.

Le danger, c'est qu'à tant conjecturer sur les façons de harnacher la rivière, les stratèges en viennent à négliger le niveau de l'eau. Or ce niveau, il est trop bas, il ne lève pas et, si rien ne change, il risque de décroître si on ne retrouve pas la part du rêve.

Une réorientation nécessaire

Un changement de cap s'impose; j'en donne trois raisons parmi d'autres.

D'abord, le projet souverainiste est dans une impasse. Il n'arrive pas à franchir nettement le mur des 50 % de l'appui populaire et à s'assurer une majorité politiquement viable. En fait, il semble depuis quelques années se nourrir davantage des déconvenues de ses opposants (dernier avatar : le scandale des commandites) que de son propre dynamisme. Il s'avère aussi que le projet ne parvient pas à susciter des appuis importants dans la communauté internationale.

Deuxièmement, le nationalisme québécois est devenu plus fragile qu'on le croit. On l'a bien vu lors des dernières élections fédérales; il a suffi que Stephen Harper improvise un brin de cour au Québec pour que plusieurs redécouvrent les vertus du «beau risque».

Troisièmement, le Parti québécois, qui était jusqu'ici le véhicule politique du projet, vient de se diviser, avec les conséquences dramatiques qu'on peut entrevoir sur l'issue des prochaines élections. Ajoutons que, de ce point de vue, l'essor de Québec solidaire représente beaucoup plus qu'un échec stratégique; c'est aussi la conscience la plus vive du problème social qui vient de déserter les rangs du PQ.

Un changement, donc. Mais quand on examine tous les scénarios qui ont déjà été rigoureusement analysés, l'impressionnant éventail des questions si finement disséquées et l'énorme documentation qui en est issue, on se demande ce qu'on pourrait bien y ajouter.

En fait, il ne faut rien y ajouter, justement. Car ce qui s'impose, c'est de revenir en arrière, de retourner au fond des choses, aux intentions premières, et de les reformuler à l'heure d'aujourd'hui. Ce qui presse, c'est de rallumer la foi, de remplacer la langue de bois par une vraie parole. Les techniciens, les stratèges pourront continuer à faire leur travail indispensable, mais à leur place : dans les officines plutôt que sous les projecteurs. Les défections qui ont conduit à la naissance de Québec solidaire tout comme les résultats du récent flirt conservateur sont des événements annonciateurs. Il est grand temps de refaire les fondements : c'est le seul moyen de consolider puis d'étendre substantiellement le soutien à la souveraineté.

Trois idées fondatrices

De quels messages, de quels grands idéaux le projet de souveraineté était-il donc porteur à l'origine ? Pour ma part, j'en vois trois.

D'abord, le projet affirmait cette grande et noble idée que le Québec, comme nation francophone d'Amérique, doit présider à sa destinée, en toute maturité et en toute responsabilité, plutôt que d'en confier la gestion à un autre État qui sera toujours dominé par l'ancien colonisateur.

Deuxièmement, on voulait anoblir le statut des francophones québécois en prenant les moyens institutionnels d'un redressement puis d'une affirmation nationale et internationale dans toutes les sphères de la vie collective.

Enfin, il y avait la volonté de refaire l'identité des Canadiens français, de répudier l'héritage du colonialisme, de restaurer la confiance et le respect de soi, en somme de donner aux Québécois «le goût de l'avenir» (comme le dit maintenant l'Institut du Nouveau Monde).

Ces messages d'une grande clarté, empreints de bon sens et de dignité, en prise sur l'histoire et la sagesse des peuples, étaient puissants. Ils ont du reste démontré leur efficacité en faisant faire un grand bout de chemin autant à la société québécoise qu'au projet souverainiste. Or ces idéaux me semblent n'avoir rien perdu de leur actualité. Ils devraient servir de base à tout nouvel argumentaire.

La tâche se présente toutefois différemment. Depuis 10 ou 15 ans, le discours souverainiste a perdu d'importants appuis. Le thème a presque disparu de la littérature et déserté une bonne partie des sciences sociales. À moins de réintégrer ces lieux de pensée et de parole, il devra se donner d'autres canaux, d'autres locuteurs.

Double paradoxe

L'impasse du projet souverainiste apparaît clairement quand on prend en compte la faiblesse actuelle de l'idée fédéraliste. Jamais depuis longtemps l'option canadienne n'a été aussi pauvrement présentée. Après le référendum de 1995, Ottawa s'est replié dans une position défensive, se limitant par divers moyens (souvent peu recommandables, toujours impopulaires) à avilir le souverainisme.

Entre 1960 et 1990, on avait connu les projets d'État binational, de société juste, de fédéralisme coopératif; il y a aussi eu Meech et Charlottetown. Rien de tel aujourd'hui. Malgré tout, l'appui à la souveraineté n'a pas progressé (et l'option fédéraliste est restée très forte).

Autre paradoxe : l'appui populaire au projet semble se nourrir de lui-même. Il survit même si les porte-parole semblent incapables d'en reconstruire le discours. À cet égard, la situation s'est inversée par rapport à celle qui prévalait avant 1960-70 : des intellectuels qui avaient formulé un argumentaire robuste mais n'arrivaient pas à rallier la population.

De la vigilance

Travailler à promouvoir un nouvel argumentaire, c'est d'abord se montrer plus agressif dans la riposte. D'énormes faussetés font leur chemin au gré de l'apathie ambiante. Par exemple, un argument particulièrement spécieux (récemment repris par nul autre que Michael Ignatieff !) veut que la souveraineté soit démodée, l'heure étant aux grands ensembles, à l'universel. Soit. Mais alors, comment expliquer cette course à l'État-nation depuis 1990 alors que près de 40 nouveaux pays sont nés ?

Par ailleurs, connaît-on un seul État qui ait songé à renoncer à son statut ? Au contraire, on assiste partout à une défense jalouse de ses prérogatives. Et chacun sait que les États comptent parmi les principaux acteurs au sein des grands organismes mondiaux. En regard, songeons aux génuflexions auxquelles le gouvernement Charest s'abaisse à l'heure actuelle pour occuper un coin de chaise à l'UNESCO, sans véritable droit de parole. Ici, en somme, les riches prêchent aux pauvres la vertu de la pauvreté.

Une autre objection, non moins étonnante, remet en cause la pertinence de la souveraineté sous prétexte que le Québec ne saurait pas quoi en faire, sinon rééditer le modèle canadien (démocrate, pluraliste, pacifique, égalitariste); dès lors, pourquoi se séparer ? («Pour quoi faire, la souveraineté ?», demande-t-on.) La réponse est pourtant évidente. Presque tous les pays d'Occident se définissent en référence à ces grands idéaux, mais chacun essaie de les concrétiser à sa manière, en accord avec ses traditions, ses institutions. Chacun aussi le fait en assurant la défense de ses intérêts. Ajoutons que, dans le cas du Québec, le nouveau pays serait francophone. Qui voudrait voir là des éléments accessoires ? Pour quoi faire, la souveraineté ? Pour tout faire.

Autre exemple, plus relevé cette fois : cette thèse affirmant que notre société serait si fragmentée culturellement et idéologiquement que le projet souverainiste ne serait plus viable. Dans ce contexte, il ne représenterait qu'un «fragment» parmi bien d'autres projets, orientations ou allégeances.

Encore là, la force de l'objection se nourrit surtout de la faiblesse de la réplique. Car, en fait, l'engagement souverainiste est évidemment compatible avec tous les autres. Plus encore, s'il est bien défini, il est destiné, par nature, à les incorporer en les faisant avancer eux aussi.

Les idées fondatrices

Pour y arriver, il est nécessaire de revenir à l'essentiel. Il faut d'abord se réimprégner de la dignité et de la nécessité pour un peuple de se gouverner lui-même, de ne pas faire écrire son histoire par un autre, en particulier quand on est une minorité culturelle. Ce principe est plus actuel que jamais justement à cause de la mondialisation, où il presse de se donner une voix. Dans le régime politique canadien, le Québec est exclu des grandes décisions, notamment sur le plan international. Cela en fait une société à la fois empêchée et entretenue. Les Québécois souffrent (si on me permet le mot) d'irresponsabilisation collective : ils sont contraints à s'échiner sur des affaires d'intendance, laissant à d'autres la gestion des grands dossiers qui les concernent.

Dira-t-on que le Québec n'a pas les moyens de s'autogouverner ? C'est la conclusion à laquelle une longue dépendance peut conduire. Il est toujours bon de rappeler que, parmi les États membres de l'ONU (près de 200), la moitié ont une population inférieure à celle du Québec, lequel se situerait entre le seizième et le vingtième rang pour le PIB et le niveau de vie et parmi les dix premiers pour quelques secteurs clés de l'économie.

En deuxième lieu, la maîtrise de l'État constitue un levier essentiel du développement collectif. Le Québec a progressé rapidement depuis 1960 parce qu'il a utilisé au maximum les pouvoirs dont il disposait. Et il continue à faire des avancées spectaculaires dans divers domaines même s'il ne contrôle que très partiellement ce levier. Soutenir le contraire, c'est raisonner à l'encontre de toute l'histoire occidentale depuis deux siècles.

Au cours des 150 dernières années, les Québécois ont souvent commis l'erreur de sous-estimer l'importance de l'État et du politique; cet héritage, semble-t-il, n'est pas mort.

Enfin, il faut redonner aux Québécois l'estime de soi et «le goût de l'avenir». Notre société, dit-on, est à la recherche de grands projets; je n'en connais pas de plus vaste, de plus noble et de plus prometteur pour l'ensemble des Québécois. Je n'en connais pas non plus de plus apte à secouer l'espèce de léthargie qui paraît s'être emparée de nous récemment.

Il faudra pour cela redorer le blason de la nation et ressouder l'idéal souverainiste avec les grandes préoccupations des Québécois, membres d'une minorité des Amériques, voisins d'un empire aux humeurs changeantes, petite nation confrontée à la mondialisation, comme toutes les autres petites nations.

Le message à diffuser est clair : la sécession va en quelque sorte rapetisser le cadre politique du Québec, mais elle va énormément grandir les Québécois.

   



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